Bruno Leyval

Journal & autres notes

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Les fleurs indociles d’Eadem

Un plan panoramique sur une ville en ruine. Allongé sur un tapis de poussière, les bras en croix, la chemise blanche tachée d’encre de Chine. Des oiseaux — sans doute des merles — explosent hors de sa poitrine comme si quelqu’un venait d’ébranler une ruche. Jaillissant en vrac, en battements affolés, ivres de lumière, ils s’éparpillent au quatre vents et tissent une toile éphémère dans l’air. Et maintenant sa poitrine — ce nid abandonné où vibraient les premiers frémissements d’ailes — reste grande ouverte, comme un sanctuaire fracturé. C’est là, dans l’écart béant de son torse, que poussent les fleurs indociles. Et son corps devient jardin — un jardin flamboyant, où la beauté, retournée comme une pelle, invente soudain la floraison d’Eadem. Chaque bouture, chaque fleur, chaque pétale, avancent, hésitent, sombrent, et s’arrachent enfin au silence, repeuplent le vide, réenchantent le vivant. Un œil de verre a roulé au cœur d’un lotus. Le vieil homme l’avait offert à une prostituée sublime. Elle le gardait dans une boîte de métal rouillée — elle lui parlait parfois. Et même à la surface vaseuse du charnier, perce le lotus au 20 à 100 pétales ou plus. La luciole figée dans le verre en offrande au centre karmique. Rayonnant vers l’extérieur du motif circulaire. Eadem est le terrain de jeu des rampants. Hypnotiques. Ils glissent le long des branches jusqu’à la pomme. Clinique reptile. À la première bouchée, l’ensorcelé. De là, de cet instant-là, découle toute l’atrocité du monde. Apparemment, c’est écrit quelque part, dans un livre fiévreux : la révélation fulgurante de l’essence humaine. … mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal… Offrir le fruit défendu comme l’on offre un œil de verre à la beauté des fleurs. Ce pacte avec l’obscur est le plus grand des délices. Aux années d’orgie et de gloire, je ne regrette rien, pas même un défaut de vision — la ou la faute devient nectar et la perte devient vision. Et les anges hagards, perdus dans les méandres des peaux froissées du monde, contemplent leurs corps nus, avec l’espoir d’une récolte abondante. Il y a cet espoir qui porte les valises du deuil. Les feuilles mortes sont les dernières traces de l’automne meurtrier — cadavres orangés du désir.

— 15 novembre 2025