BRUNO LEYVAL

MESSAGE #21 : En chemin

Une dernière œuvre, pour remplacer la promise qui n’est plus la muse d’antan. Le cadre blanc est léger une fois soulagé de son corps. Et maintenant, pour combler le vide, faut-il encore dessiner après plusieurs mois de rupture ? Je n’en ai plus la force ni l’envie. Le mur de mon bureau restera blanc et le cadre vide.

Un crayon sur la table. Je te souhaite une vie belle et heureuse, adieu mon ami.

La forêt se rapproche en bourdonnant. En bord de champs, une dizaine de ruches attendent que la nature fleurisse et que les ouvrières reprennent la route de l’or. Sur le long chemin de terre qui sépare les deux armées d’arbres qui se penchent, mon esprit s’égare un instant. Je m’imagine gradé, peut-être même un général, fier, la tête haute et le torse bombé dans son uniforme étoilé, qui passe en revue ses troupes, le regard sombre. Les arbres comme des soldats dans une forêt prête à la bataille. Deux murs qui se rapprochent et qui engloutissent peu à peu le frêle passage de paix qui les sépare. Me voici donc en chemin vers la guerre ? En chemin. L’image s’incruste quelques instants, puis je l’efface rapidement. Je ne suis qu’un pacifiste et de l’armée, je n’ai que de vagues rancœurs de prisonnier.

Des fusils que l’on charge avec des fleurs.

Après ton départ, je t’ai allongé dans mon cœur, dans un recoin tendre, pour que ton sommeil alimente mon oubli. La mine cassée comme la mémoire, qui finira bien par effacer les souvenirs et gommer les traits fulgurants – je le souhaite patiemment.

La petite cabane est encore là, debout, coincée entre deux chênes. Une partie de la toiture s’est effondrée et le reste ne tient encore debout que par miracle. Un miracle, voilà ce qu’il me faudrait pour arrêter d’errer nu dans cette forêt. Mon corps n’a plus de protection. J’ai croisé plusieurs personnes qui ne furent pas choquées de mon état. La boue a recouvert l’ensemble – seules quelques veines sont encore apparentes.

Sur la table basse, près de la bibliothèque qui peine à se remplir, les livres de l’absurde s’empilent. L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus m’imposent une relecture. Ils croisent à nouveau mon chemin. Encore le chemin. Le cycle de l’absurde n’est pas encore au complet, je pars à leur recherche.

Un canapé, voilà tout ce qui reste sous la charpente écroulée. Assise face à moi, tu contemples sur mon corps les nervures que la boue sèche a creusées. J’ai blanchi, n’est-ce pas ? Les mains en croix, je te laisse de l’ensemble disposer. As-tu déjà imaginé tel pouvoir, autant de choses interdites que tu puisses accomplir, autant de fantasmes refoulés ? Non, il est flagrant de voir que c’est une première pour toi, un nouveau chemin au fond d’un bois isolé. Le plaisir immense de dominer. Les yeux de la forêt sont grands ouverts et derrière la fenêtre, les spectateurs se sont accumulés. Des plaques de terre dure comme la pierre qui s’effondrent sur le plancher. Tu es sculptrice à présent et sous ma peau, tu creuses pour révéler l’âme d’un damné. Cherches-tu les restes de mon humanité ?

J’ai fini par le faire, ce simple trait entrecoupé par un « en chemin » presque illisible. Pour lui tenir compagnie, je l’ai placé à côté d’un portrait de Bukowski. Le vieux dégueulasse m’a donné envie d’écrire de la poésie. Son visage crevassé a toute la malice d’un ivrogne surdoué. « N’essaie pas », en lettre gravée sur une plaque de marbre. Mon bon vieux Charles, pourquoi n’as-tu rien écrit du fond de ta tombe ?

Tiens, je t’offre cette dernière œuvre... En chemin.

brunoleyval.fr

16/04/2025


Mastodon Flux À propos Archives