Une musique lancinante, plusieurs rappels, en boucle, en tourbillon, en transe et en souffrance. On est loin des cérémonies sacrées et des rituels chamaniques. Les autels saignent. De longues discussions stériles, des promesses qui ne seront jamais tenues, des turpitudes infinies et l’ombre du mal qui plane comme une buse au-dessus d’une proie frêle et pure. Des lettres d’excuses et de gentillesse, déchirées quelques instants avant la tempête haineuse. Casser tous les miroirs pour ne pas regarder en face l’immensité de nos erreurs. Ne te reproche rien, ce n’est pas ta faute, je suis désolé, pardon, pardonne-moi, excuse-moi, prends soin de toi, vraiment... On ne se doit rien, absolument rien. Personne n’appartient à personne. Écran vide. Plus de signal. Fuir comme un lâche ou partir comme un sage. Il faut savoir s’effacer au milieu d’un désastre.
Je n’ai rien à te dire. Il y a des mots comme des bascules. Alors ne dis rien... Adieu.
Plonger sous la surface et se sentir couler. Je me débats de toutes mes forces, mais rien n’y fait. L’eau est un cœur froid. Quand la noyade est proche, il suffit de se souvenir que l’on sait nager. Un après-midi à la piscine municipale, sous les encouragements d’un père au bord des larmes quand s’approche enfin la rive de composite, juste en dessous d’un plongeoir bien trop haut pour mon âge. La fierté du survivant.
Les piscines municipales sont des endroits bien cachés où l’on enterre les souvenirs de notre jeunesse.
Les heures miroir sont décalées par des années où le temps n’avait plus de sens. Des mois à se relever dans l’espoir de retrouvailles. Il y a des champs de bataille sans rescapés.
J’écoute Jean-Sébastien Bach au milieu d’un parc, à l’abri des regards, dans une cabane de ronces forgées. Quelques ouvriers bavardent en fumant. Ils ont l’air heureux. Une couverture qui vieillit sur l’herbe et avec laquelle elle a fini par fusionner. Les traces du passé.
Peinture triste – un moyen d’expression délavé. Dans tes yeux exposés, une belle histoire accrochée dans une galerie éphémère de quartier. Quelques traces sur le chemin, des livres reposent dans des cartons. As-tu gardé un exemplaire de chaque ? Tu devrais les brûler. Des caisses en bois pour ranger, trier, jeter et oublier. Oublier. Oublier tous les murs que j’ai percutés.
J’ai peint un mur un jour, de couleurs et de déchirures. Une fille aux cheveux rouges et au sourire qui masquait à peine sa profonde mélancolie. La main sur le visage pour éviter que l’argentique capture son âme. Je n’ai jamais dessiné son visage. De grands portraits fluorescents, déchirés en de fines lamelles, quelques oiseaux bleus et jaunes, rouges-gorges et pic vert, superposés au hasard comme un parterre de fleurs de cerisiers.
Il y a un arbre devant la maison, blanc de porcelaine, dont le tronc pèle des feuilles pour y écrire des mots d’amour. Mon atelier est mort. La rose est sèche. Sur les ruines du sanctuaire, j’ai construit un bureau pour écrire. Je l’ai voulu épurer comme mon cœur vidé. Un bol tibétain sur une table basse à l’entrée comme un récipient pauvre de mendicité. Quelques images agrippées au mur, l’ombre du poète en Éthiopie. Il m’a fallu huit ans et beaucoup de pertes et de deuils pour évacuer la folie indienne. Aujourd’hui, je découvre les richesses intérieures que ce voyage m’a apportées. Suis-je sur la voie de la sagesse ? Peut-être, mais combien de fois m’a-t-elle déjà abandonnée.
Je n’ai rien à te dire... Alors ne dis rien, je l’écrirai pour te lire.
L’éveil et le sommeil
Au coeur de la bataille
une offensive stratégique
armés de précieux confettis
ils tourbillonnent en silence
L’odeur toxique de soufre et de gaz
mélangée au poivre et aux guenilles
enveloppe les lutteurs de la nuit
le long des champs immobiles
Une procession de tambours
entre les étoiles et la demi-lune
d’où s’échappe des bombardements lents
comme des roches qui s’écrasent sur les pèlerins
L’éveil et le sommeil s’enlisent
pour que s’ouvre un espace extrême
ou s’engouffre une procession morbide
de prêtres enduits de cendre
Les restes se multiplient
les ombres se bousculent à l’entrée
d’un pavillon invisible
et doré
Le narcisse percera les décombres au printemps
— 26/02/2025