Ces notes centenaires qui arrivent à mes oreilles et qui s’écoulent comme un ruisseau, humidifiant les parois jusqu’au marteau, ne sont que des merveilles sauvées des eaux. Un naufrage près d’un phare. Sur le bois flottant, parmi les restes d’un navire de contrebande, les partitions s’accrochent avec les dents.
Même les mauvais films ont des fulgurances. Surtout les mauvais films.
Minuit une, comme une évidence.
La dernière neige est tombée sur la nuit de février. Le printemps occupe ma raison. J’attends une renaissance qui se fait prier en écrivant un nouveau psaume dans un cahier longtemps abandonné. Sa couverture est faite d’un cuir noir bleuté, creusé de cernes qui semblent nous indiquer son âge, comme le ferait un arbre coupé.
Sous la dalle de bitume, de toutes ses forces, la fleur pauvre cherche la lumière. Les premières craquelures dessinent une toile dont la beauté fait rougir l’araignée suspendue.
J’ai depuis bien longtemps perdu le fil de ma vie. Je suis parti à l’autre bout de la terre pour me réfugier au côté des apatrides. Tracer des cercles sur les murs, mandalas improvisés, pour finir par s’enfermer dans la circonférence de mon esprit boueux, jusqu'à tout rejeter. Prends soin de toi, qu’elle disait, cette petite voix qui fuyait sans cesse ma toxicité. Que de larmes sur les joues potelées de ton innocence.
Elle a pris ma main lors d’une marche forcée et au milieu des cris et des revendications, elle finit par m’avouer la mort de son fils, au Tibet, brûlé de résistance. J’ai absorbé sa douleur, un mois de février, sous l’ombre des sommets du monde enneigé.
Étrange pays où chacun n’a d’autre préoccupation que de travailler son esprit.
J’ai le souvenir d’un dessin, le portrait de profil d’une jeune fille, dessiné par un ancien sage occidental. Ce serait un honneur de le retrouver pour le mettre dans un joli cadre, sur un mur de roses feuilletées. Il y a des cicatrices qui ne se referment pas.
Et tout d’un coup, je l’ai vu s’effondrer comme un château de cartes – un tarot de Marseille. La roue s'est détachée de son axe, elle a quitté le jeu brusquement. Il y a une nouvelle carte, les fusionnels, une carte qui n’existe plus que dans un jeu secret.
Avec son voile de silence et ses longues plumes bouclées, elle souriait avec élégance lors de nos rendez-vous masqués. Elle s’appelait Sagesse et longtemps elle m’a accompagné. Une présence assassine qui fait de vous un gentilhomme torturé. Je l’emmenais partout avec moi, elle m’inspirait de belles envolées, des encres et des histoires avec du cœur et de l’amour, de la compassion à ne plus compter. Sagesse était une muse en cage. Un jour, j’ai égaré la clef et elle s’est envolée.
Il faut beaucoup de temps à un homme pour acquérir de la sagesse et un moment d’égarement suffit à la voir s’éloigner.
Les lettres s’envolent comme des flèches d’amour, mais le facteur ne trouve plus la cible brisée.
— 18/02/2025