Bruno Leyval

Écriture vespérale

Sous l’écorce, un univers résiste

L’arbre est planté au milieu de la prairie. Il ressemble à une anomalie. Du temps où il était en famille, c’était le vide qui aurait paru suspect. Aujourd’hui, seul au centre du cimetière, ses racines peinent à rester ancrées dans la terre, et ses branches s’étirent vers le ciel sans trouver d’appui.

J’ai une photographie de mon père, adossé à son tronc. C’était au temps où le vieil arbre trônait au centre d’une clairière, au milieu d’une forêt dense et enchantée. La canne de mon père était faite de son bois — d’une de ses branches tombées. Il caressait son écorce rugueuse comme on caresse un vieux compagnon, et moi, j’apprenais à lire dans ses gestes l’attachement silencieux d’une vie partagée. Chaque bruissement semblait murmurer des histoires anciennes, des secrets que seuls eux savaient garder.

Sous son écorce, un univers résiste.


Les satyres

Pierre Paul Rubens a aimé la mythologie, les dieux et les déesses, les satyres et les nymphes. Les Silènes aussi. Il les a peints parfois dans de vastes éclats de lumière et de chair, où tout tourbillonne et rit. Parfois, il s’est penché sur eux de plus près, dans des toiles minuscules, presque secrètes, où l’on sent le souffle, le sourire, la joie discrète d’un monde qui danse et qui s’éveille.

Mon dernier livre d’art, gardé à l’abri des regards, explorait déjà le satyre. Aujourd’hui, il devient le cœur de mon projet poétique. Dans cette figure mi-homme, mi-animal, je retrouve toute la dualité qui nous habite — le bien et le mal, l’instinct et la conscience, la lumière et l’ombre. C’est en lui que je contemple les forces opposées qui vivent en chacun de nous. Ce personnage me fascine, car j’y reconnais le tiraillement qui vibre en moi, les forces contraires qui s’affrontent et se complètent, l’animalité et l’humanité, le désir et la retenue.

En le contemplant, je comprends que ce tiraillement n’est pas un défaut à corriger, mais une énergie vivante qui me traverse et m’anime. Il est la source de ma créativité, de ma passion et de mes hésitations. Comme le satyre, je porte en moi le sauvage et le civilisé, l’ombre et la lumière, et c’est dans cet entre-deux que se révèle ma vérité. Apprendre à habiter ces contradictions, à les accepter sans jugement, c’est se rapprocher de ce qui est essentiel, de ce qui fait de moi quelqu’un d’entier, d’unifier.


Vespéral

adjectif : (bas latin vesperalis, du latin classique vesper, le soir). littéraire : (relatif au soir, au couchant ; qui se produit le soir).

Tout se passe donc la nuit, l’écriture comme on creuse en soi.

L’exposition à la lumière devient un chemin de croix — à quoi bon ajouter à l’accumulation ambiante ? Je me suis octroyé une pause, plus ou moins longue, pour m’écarter, faire un pas de côté, et travailler sur un livre en devenir, loin du brouhaha ambiant : un livre de poésie qui ne verra certainement jamais le jour. Qu’importe ! Je me suis détaché de cette envie de réussite, une réussite qui me poussait à emprunter des chemins absurdes. Il y a bien plus de beauté dans l’échec que dans tout simulacre. La créativité, je la réserve à l’intime.

Peu à proposer. Alors, ici, je ne propose que peu de choses : quelques textes sans ambition, quelques réflexions, quelques pensées qui, je l’espère, comme les pissenlits, finiront par être emportées par le vent.