Alors que les souvenirs s’empilent comme des palettes sur un quai, que les alvéoles ruissellent et que les terminaisons nerveuses explosent, un essaim de piétons parcourt le bitume — noir, noir cosmos, noir pétrole, noir organe, veiné de reflets bleutés — jusqu’à la dernière station du centre-ville. Le bus arrive. Le bus à balcon où se perchent les fuyards scolaires — prophètes mineurs — s’y perchent comme des oiseaux hallucinés. J’étais de ceux qui s’accrochaient à la barrière pour un voyage à l’œil. Le vent en guise de ticket.
Le fuyard est un animal sacré ! Même le bus est sacré. Nous sommes les nouvelles abeilles de la ruche roulante, butinant des rues, aspirant des odeurs, transportant la matière vivante du monde d’un arrêt à l’autre. Notre départ est une danse, une échappée, un rituel d’urbanité migrante. Chaque tournant devenait une prière, chaque freinage un hurlement divin, et, dans le grand bourdonnement du monde, nous laissions filer, d’arrêt en arrêt, un miel de révolte, de rire, de poussière et de liberté.
Alors, nous avons tenu bon, accrochés aux barres comme à un destin bancal, prêts à bondir si le monde décidait enfin de basculer — la ruche roulante comme une étincelle, et le voyage venait à peine de commencer.
Dans cette suspension, en lévitation, on ouvrait parfois les portes comme on entrouvre un temple — avec la folie d’un geste sacré.
Alors, nous sommes à nouveau vivants, nous, les passagers clandestins de nos propres vies — et quand nous mourons, nous retournons à nos cavernes de nectar, ivres, célébrant la dernière des reines en porte-jarretelle.